Avec sa pipe au bout des lèvres, son galurin noir sur le crâne et ses lunettes noires, Jacques Audiard semble tout droit sorti d'un roman de Sherlock Holmes ou toutes autres fictions ayant pour emblème le mystère. Comme son père, le dialoguiste truculent Michel Audiard, Jacques a construit sa carrière à l'ombre des caméras. Derrière la caméra.
Personnalité la plus récompensée de l'histoire des César avec neuf trophées au compteur, le cinéaste, qui suivait des études de lettres pour devenir enseignant, mais qui a vite rebroussé chemin pour se tourner vers le cinéma, a débuté sa carrière en qualité d'assistant-réalisateur. Crédité aux génériques du "Locataire" de Roman Polanski ou encore de "Judith Therpauve" de Patrice Chéreau, il reste dans le domaine technique en s'essayant au montage.
Si le montage peut sauver un film et écrit en filigrane son intrigue au travers de ses découpages, le scénario reste le pilier d'une réalisation. Et ça, le Parisien l'a bien compris, se retrouvant rapidement à l'écriture de scénarios des années 1990, notamment avec son père sur "Mortelle randonnée" et avec Georges Lautner sur "Le Professionnel".
Ces passages fructueux aux postes majeurs d'une équipe de tournage l'encouragent à poursuivre dans la voix du cinéma et à se lancer en solo derrière la caméra en 1994. Dans "Regarde les hommes tomber", Jacques Audiard impose sa marque de fabrique avec ce thriller très noir porté par Jean-Louis Trintignant, Mathieu Kassovitz et Jean Yanne, qui vont voir leurs destins liés par la force des choses. Depuis cette histoire de vengeance couronnée de trois César, le film de genre est devenu son registre de prédilection.
Les deux acteurs, qu'il filme comme il filmerait des actrices, avec toujours cette charge érotique en filigrane, se retrouvent au coeur de son deuxième film, "Un héros très discret", adapté en 1996 du roman de Jean-François Deniau. Prix du scénario au Festival de Cannes, cette deuxième réalisation porte de nouveau son dévolu sur la condition humaine, qu'Audiard décortique dans un univers où les hommes ordinaires ont tout de l'extra. Dans cette comédie dramatique, c'est Albert Dehousse (Matthieu Kassovitz), réformé à l'hiver 1944 pour raison de santé, qui va s'inventer de toutes pièces un passé de résistant. À force de mensonges, il va se construire un personnage hors du commun.
Audiard délaisse ensuite la caméra pour cinq ans, prêtant sa plume à Tonie Marshall pour son salon de curiosités "Vénus Beauté (Institut)". De retour en 2001 avec un nouveau film de genre en poche, il réalise "Sur mes lèvres", à l'allure d'un polar crépusculaire mais au squelette d'une romance vibrante. Emmanuelle Devos a perdu l'usage de l'ouïe mais a la faculté de lire sur les lèvres, tandis que Vincent Cassel bas de front et écrasé par la vie, sort tout juste de prison. Ces deux héros ordinaires vont faire connaissance sur le lieu de travail de cette femme handicapée, une société immobilière, et malgré leurs différences, vont se lancer dans une histoire d'amour platonique mais profonde.
Après ce flot de sentiments, place au remake du film noir "Mélodie pour un tueur", "De battre mon coeur s'est arrêté" (2005), dans lequel Romain Duris et Niels Arestrup se jettent à corps perdus dans une relation père/fils destructrice. Nommé à dix reprises aux César, ce film sur la filiation et l'abandon repart avec huit statuettes. Le conteur ouvre un nouveau chapitre de son cinéma en 2009 avec "Un prophète", Grand prix du Jury à Cannes, dans lequel il révèle l'acteur Tahar Rahim. Ce dernier arrive à l'âge de 19 ans en prison, sans identité, certains le croient corse et d'autres arabe, ni passé, mais quittera sa cellule en ayant écrit sa propre histoire à force de courage et de volonté. Avec ses neuf César, il devient le troisième film le plus récompensé de l'histoire de cette cérémonie, après "Le Dernier Métro" (1980) et "Cyrano de Bergerac" (1990). Le film représentera la France pour l'Oscar du meilleur film étranger et permettra à Tahar Rahim de réalisé un doublé resté historique en remportant les César du meilleur espoir et du meilleur acteur.
La lumière, l'espace, un univers féminin. Toutes ces choses qui n'étaient pas présentes dans son film précédent et auxquelles ils pensaient dès la fin du tournage trouvent leur écho dans "De rouille et d'os". Sorti en 2012, c'est de nouveau la rencontre entre deux handicapés de la vie, l'une au sens propre, l'autre au sens figuré, qu'il va mettre en scène dans le décor du parc aquatique Marineland d'Antibes. Stéphanie (Marion Cotillard) y travaillait comme dresseuse d'orques avant qu'elle ne perde l'usage de ses deux jambes dans un accident. Amputée, elle s'accroche à la vie et à son fauteuil roulant, comme Ali (Matthias Schoenaerts), un boxeur à la rue avec son fils. Ils se croisent un soir et ne se quitte plus, l'un devenant la béquille de l'autre. Pour la petite anecdote, Marion Cotillard travaillait en cachette sur ce fim à l'époque, taisant sa participation au même moment à une grosse production américaine "The Dark Night Rises".
Grand habitué des César et du Festival de Cannes, il faudra attendre 2015 pour que le maître du classicisme à la française remporte le Graal. C'est "Dheepan", ce parcours de trois réfugiés tamoul s'intégrant difficilement en banlieue parisienne, qui séduit le jury. En s'inspirant du flm "Straw Dogs" de Peckinpah et des "Lettres persanes" de Montesquieu pour brosser le portrait de son réfugié politique en serre-tête lumineux et bouquet de roses proposé à la vente, Jacques Audiard prouve une nouvelle fois qu'il est possible de faire sortir l'image héroïque d'une situation dérisoire. Tous ses personnages sont des héros. Mais ne le savent pas.
Filmographie :
2015 : Dheepan
2012 : De rouille et d'os
2009 : Un prophète
2005 : De battre mon coeur s'est arrêté
2001 : Sur mes lèvres
1996 : Un héros très discret
1994 : Regarde les hommes tomber
Récompenses :
2015 : Palme d'or du Festival de Cannes pour Dheepan
2013 : César de la meilleure adaptation pour De rouille et d'os
2013 : Etoiles d'or du cinéma français du meilleur film et meilleur scénario pour De rouille et d'os
2013 : Globe de cristal du meilleur film pour De rouille et d'os
2013 : Prix Lumières du meilleur réalisateur et meilleur scénario pour De rouille et d'os
2012 : Prix du meilleur film au Festival du film de Londres pour De rouille et d'os
2012 : Swann d'or du meilleur film au Festival du film de Cabourg pour De rouille et d'os
2010 : Césars du meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario original pour Un prophète
2010 : BAFTA du meilleur film en langue étrangère pour Un prophète
2010 : Prix du meilleur film français du syndicat de la critique de cinéma pour Un prophète
2010 : Etoile d'or de la presse du cinéma français du meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario pour Un prophète
2010 : Prix Lumières du meilleur réalisateur pour Un prophète
2009 : Prix Louis-Delluc pour Un prophète
2009 : Grand prix du jury au Festival de Cannes pour Un prophète
2006 : Etoile d'or du film pour De battre mon coeur s'est arrêté
2006 : Césars du meilleur film, meilleur réalisateur et meilleure adaptation pour De battre mon coeur s'est arrêté
2006 : BAFTA du meilleur film non anglophone pour De battre mon coeur s'est arrêté
2002 : César du meilleur scénario pour Sur mes lèvres
1999 : Victoire de la musique du meilleur clip pour La Nuit je mens d'Alain Bashung
1996 : Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes pour Un héros très discret
1995 : César de la meilleure première oeuvre pour Regarde les hommes tomber
1994 : Prix Georges-Sadoul pour Regarde les hommes tomber
© Sipa, Roger Arpajou
"Un prophète" : qui pour diffuser l'adaptation de Jacques Audiard ?
C'est en 2009 que le cinquième long-métrage de Jacques Audiard a bousculé le Festival de Cannes. En lice, il obtient le prix du jury. Puis, quelques mois plus tard, "Un prophète" réalise une prouesse restée dans les annales avec un total de 9 César obtenus pour 13 nominations. Les enjeux du film carcéral seront désormais traités dans une série. Si Tahar Rahim, Niels Arestrup ou encore Leïla Bekthi composaient le casting originel, la nouvelle distribution n'a pas été dévoilée. Quant au canal de diffusion, en janvier 2020, Abdel Raouf Dafri, l'un des scénaristes du film, avait révélé à Allociné qu'il pourrait éventuellement être question de Netflix.
Niels Arestrup dans "Un prophète" (2009) de Jacques Audiard.
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