Jean-Pierre Mocky

Jean-Pierre Mocky©BestImage, Cédric Perrin

Comme la vie, et surtout la sienne, le cinéma de Jean-Pierre Mocky part dans tous les sens. Dès son enfance, le Niçois, déjà atteint d'une frénésie aigüe, ne fait en effet rien comme tout le monde. Inscrit au baccalauréat à l'âge de 12 ans, marié l'année suivante à une petite voisine qu'il mettra enceinte - ce ne sera ni la première, ni la dernière puisqu'il affirme être le père de 17 enfants potentiels ! - le jeune homme est plus que précoce. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, son père le vieillit de quatre ans, passant sa date de naissance au 6 juillet 1929 pour qu'il puisse prendre un bateau pour l'Algérie afin de fuir les Nazis. Or il ne quittera finalement pas la France et se cachera dans une ferme avant de rejoindre Paris au début des années 1940.

Lui qui aspire à une carrière dans le cinéma, depuis ses neuf ans, touche enfin son rêve du bout des doigts. Mais la route sera longue, surtout comme chauffeur de taxi, le premier métier qu'il décroche à son arrivée dans la capitale et qui lui permettra de faire quelques rencontres essentielles. Figurant par-ci par-là chez Marcel Carné ("Les Visiteurs du soir") et Jeff Musso ("Vive la Liberté") grâce à son bagou légendaire, c'est en chargeant un jour à Neuilly l'acteur Pierre Fresney qu'il va réellement entrer dans le métier. C'est également lors d'une course qu'il fera la connaissance de l'un de ses futurs acteurs fétiches, Jules Berry, dont il deviendra l'assistant. Il s'occupera aussi d'aller chercher, le matin avant ses tournages, les cachets (et sandwiches) de Sacha Guitry.

Grâce à l'appui de Fresney, Mocky décroche entre autres son premier rôle au théâtre dans "Phèdre" et rejoint ensuite les cours de Louis Jouvet au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, dans la même promotion qu'un certain Jean-Paul Belmondo - pour la petite anecdote, il prendra d'ailleurs Jean-Pierre et non Jean-Paul comme prénom de scène pour éviter de lui faire concurrence. En 1951, après avoir notamment tourné sous les directions de Claude Autant-Lara ("Occupe-toi d'Amélie") et Jean Cocteau ("Orphée"), l'apprenti acteur campe un nudiste dans le dernier film réalisé par le duo comique Laurel et Hardy, "Atoll K". Comédie franco-italienne, elle va permettre au comédien de percer en Italie, où il connaîtra ses premiers succès.

Installé en effet de l'autre côté des Alpes dans les années 1950 après sa rencontre en 1952 avec Michelangelo Antonioni sur le tournage du drame "Les Vaincus", présenté à la Mostra de Venise l'année suivante, Jean-Pierre Mocky se fait ensuite rapidement engager par les studios italiens Ponti-De Laurentis qui font de lui une star. On l'aperçoit alors dans "Graziella" (1955), de Giorgio Bianchi, ou encore dans "Les Egarés" (1955), de Francesco Maselli, quand il ne travaille pas comme assistant-réalisateur sur le "Senso" (1954) de Luchino Visconti. Également stagiaire de Federico Fellini sur "La Strada" (1954), le Français apprend beaucoup auprès de ces maîtres italiens.

De retour dans l'Hexagone en 1956, Jean-Pierre Mocky va tourner brièvement pour les cinéastes Gilles Grangier ("Le rouge est mis"), Bernard Borderie ("Le Gorille vous salue bien") ou encore Georges Franju ("La Tête contre les murs"), pour lequel il signe le scénario), mais ne trouve pas le même succès qu'en Italie. De peur de s'ennuyer et de ne pas trouver de rôles à sa taille, il met rapidement un terme à sa carrière d'acteur en 1959 pour se consacrer pleinement à celle de réalisateur. Il continuera néanmoins d'apparaître occasionnellement chez Jean-Luc Godard et Michel Gondry - deux autres phénomènes du cinéma français (!) - dans les années 1980.

Nous sommes donc en 1959 lorsque Jean-Pierre Mocky propose "Les Dragueurs", une comédie dramatique tournée en noir et blanc, qui va faire un tabac dans le monde entier malgré une fin imposée par les producteurs. Portée par Jacques Charrier et Charles Aznavour dans les rôles-titres de deux dragueurs invétérés, l'un finira par se marier et l'autre retournera finalement à sa solitude après une rencontre bouleversante avec une infirme. À l'origine, Jean-Pierre Mocky avait pensé à Jean-Paul Belmondo, son ami du Conservatoire, pour le rôle. Ce dernier lui en voudra pendant longtemps de ne pas l'avoir finalement engagé, mais réussira malgré tout à construire la carrière qu'on lui connaît aujourd'hui.

L'année suivante, le cinéaste adapte "Un couple" avec Raymond Queneau, sur la demande de la maison Pathé qui voulait encore frapper fort après le succès de "Dragueurs". Le film étant pensé comme une suite, la caméra de Mocky se braque ici sur l'amour physique devenu un amour utilitaire, du quotidien, à travers un couple formé par Juliette Mayniel et Kean Kosta. S'étant pourtant juré de se parler à la moindre dégradation de leur histoire d'amour, celui-ci ne va pas tenir sa promesse. "Un couple" va moins marcher que la plupart des autres films de Jean-Pierre Mocky, mais plaira néanmoins aux Cahiers du cinéma et à son chef de file François Truffaut.

La suite de sa carrière de réalisateur est ponctuée de nombreuses collaborations avec des acteurs qu'il tient en admiration, de Bourvil (trois films dont "Un drôle de paroissien") à Michel Serrault (douze films dont "Le Miraculé"), en passant par Francis Blanche (cinq dont "La Cité de l'indicible peur"), Jacqueline Maillan ("Les Saisons du plaisir") et Jean Poiret ("Le Miraculé"). Souvent controversée ("L'Etalon"), une fois pornographique ("Les couilles en or") - il ne faut pas oublier qu'il a été un temps vendeur de vignettes érotiques sur une plage cannoise -, parfois adulée ("Les Dragueurs", "Un drôle de paroissien", "L'Ibis rouge"), mais rarement diffusée à la télévision ni même citée dans les encyclopédies de cinéma, la filmographie de Mocky, riche d'une centaine de films, est à l'image du personnage : instable et ... brouillonne, dotée d'une pincée d'engagement et de romantisme noir empruntés à ses maîtres français Jean Anouilh, Raymond Queneau et Marcel Aymé.

L'enfant terrible du cinéma français, qui a dévergondé à l'écran Jacqueline Maillant ("Y'a-t-il un Français dans la salle ?", 1982) et Catherine Deneuve ("Agent trouble", 1987), reconnaît pour FilmoTV que "tourner avec (lui) c'est ne plus tourner avec les autres". Très critique envers le cinéma français contemporain, il n'hésite pas à descendre quelques-uns de ces représentants dans divers ouvrages, dont le dernier en date, "Je vais encore me faire des amis", paru en 2015. Toujours au micro de FilmoTV, Jean-Pierre Mocky parle de sa vision du cinéma, en désaccord total avec les productions d'aujourd'hui : "Je représente un cinéma qui fait des références à Franz Kafka, Henri Michaux, Jonathan Swift, Raymond Queneau, Truman Capote, et aujourd'hui on ne fait pas ce cinéma-là."

Dans les années 2000, Jean-Pierre Mocky s'est lancé dans la réalisation d'une série télévisée : "Mister Mocky Présente... d'après les nouvelles d'Alfred Hitchcock". Réalisée en effet dans la droite lignée des histoires policières, mêlant suspense et humour noir, qu'Hitchcock présentait dans les années 1950 et 1960, celle-ci s'étale sur trois saisons diffusées entre 2007 et 2013 sur 13ème rue puis Canal Jimmy.

Jean-Pierre Mocky décède le 8 août 2019.

Filmographie :

Acteur

- : Le Redoutable, de Michel Hazanavicius
2011 : Americano, de Mathieu Demy
1989 : Vingt p'tites tours, de Philippe Truffaut et Michel Gondry
1986 : Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma, de Jean-Luc Godard (Téléfilm)
1983 : Prénom Carmen, de Jean-Luc Godard
1983 : La Route inconnue (Série TV)
1980 : Cocktail Morlock, de Gérard Courant
1971 : Le Sourire vertical, de Robert Lapoujade
1958 : La Tête contre les murs, de Georges Franju
1957 : Le Gorille vous salue bien, de Bernard Borderie
1957 : Le rouge est mis, de Gilles Grangier
1955 : Les Egarés, de Francesco Maselli
1955 : Graziella, de Girgio Bianchi
1954 : Senso, de Luchino Visconti
1954 : Le Comte de Monte-Cristo, de Robert Vernay
1953 : Le Grand Pavois, de Jack Pinoteau
1953 : Maternité clandestine, de Jean Gourguet
1952 : I condottieri, de Paul Herbiger
1952 : Les Vaincus, de Michelangelo Antonioni
1952 : La neige était sale, de Luis Saslavsky
1952 : Foreign intrigue (Série TV)
1951 : Eternel Espoir, de Max Joly
1951 : Deux sous de violettes, de Jean Anouilh
1950 : Bibi Fricotin, de Marcel Blistène
1950 : Dieu a besoin des hommes, de Jean Delannoy
1949 : Une nuit de noces, de René Jayet
1949 : Orphée, de Jean Cocteau
1949 : Au grand balcon, d'Henri Decoin
1949 : Occupe-toi d'Amélie, de Claude Autant-Lara
1949 : Portrait d'un assassin, de Bernard Roland
1948 : Le Paradis des pilotes perdus, de Georges Lampin
1948 : Les Casse-pieds, de Jean Dréville
1946 : La Cabane aux souvenirs, de Jean Stelli
1946 : Rêves d'amour, de Christian Stengel
1946 : L'Homme au chapeau rond, de Pierre Billon
1945 : L'affaire du collier de la reine, de Marcel L'Herbier
1944 : Vive la liberté, de Jeff Musso
1942 : Les Visiteurs du soir, de Marcel Carné

Réalisateur

2017 : Vénéneuses
2016 : Rouges étaient les lilas
2016 : Le Cabanon rose
2015 : Monsieur Cauchemar
2015 : Les Compagnons de la pomponette
2015 : Tue es si jolie ce soir
2014 : Calomnies
2014 : Le Mystère des jonquilles
2013 : Hitchcock by Mocky (Série TV)
2013 : Le Renard jaune
2013 : Dors mon lapin
2012 : A votre bon coeur, mesdames
2012 : Le Mentor
2011 : Le Dossier Toroto
2011 : Crédit pour tous
2011 : Les Insomniaques
2009 : Colère (Téléfilm)
2007-2009 : Mister Mocky présente (Série TV)
2007 : 13 French Street
2007 : Le Bénévole
2006 : Le Deal
2005 : Grabuge !
2004 : Les Ballets écarlates
2004 : Touristes, oh yes !
2003 : Le Furet
2002 : Les Araignées de la nuit
2001 : La Bête de miséricorde
2000 : Le Glandeur
1999 : La Candide Madame Duff
1999 : Tout est calme
1998 : Vidange
1997 : Alliance cherche doigt
1997 : Robin des mers
1995 : Noir comme le souvenir
1993 : Le Mari de Léon
1992 : Bonsoir
1991 : Ville à vendre
1991 : Mocky Story
1990 : Il gèle en enfer
1988 : Divine enfant
1988 : Une nuit à l'Assemblée nationale
1987 : Les Saisons du plaisir
1987 : Agent trouble
1987 : Le Miraculé
1986 : La Machine à découdre
1985 : La Pactole
1983 : A mort l'arbitre
1982 : Ya-t-il un Français dans la salle ?
1982 : Litan : La cité des spectres verts
1979 : Le Piège à cons
1978 : Le Témoin
1976 : Le Roi des bricoleurs
1975 : L'Ibis rouge
1974 : Un linceul n'a pas de poches
1973 : L'Ombre d'une chance
1972 : Chut !
1971 : L'Albatros
1970 : Solo
1970 : L'Etalon
1969 : La Grande Lessive ( !)
1967 : Les Compagnons de la marguerite
1965 : La Bourse et la Vie
1964 : La Grande Frousse ou La Cité de l'indicible peur
1963 : Un drôle de paroissien
1962 : Les Vierges
1961 : Snobs !
1960 : Un couple
1959 : Les Dragueurs

Récompenses :

2015 : Prix Lumières d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre
2012 : Polar d'Honneur au Festival Polar de Cognac pour l'ensemble de son oeuvre
2013 : Prix Alphonse-Allais pour l'ensemble de son oeuvre
2010 : Prix Henri-Langlois pour l'ensemble de sa filmographie
1982 : Prix de la critique au Festival d'Avoriaz pour "Litan : La cité des spectres verts"

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